vendredi 27 mai 2022

Ecrire mal, c'est bien écrire

 

Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Maurice Blanchot dans Qui vive ?, un ouvrage collectif publié chez Corti en 1989 à l'occasion de la parution du premier volume des œuvres de Julien Gracq dans la Pléiade. J'ai trouvé ce texte reproduit intégralement un vieux numéro du Magazine littéraire. J'aime bien parcourir de temps en temps un ancien exemplaire de cette revue. Rien que la liste impressionnante des romans et des auteurs ayant totalement sombré dans l'oubli, cela donne un recul salutaire par rapport aux abondantes parutions contemporaines. Et puis il y a les écrivains qu'on lit et qu'on relira toujours.  Julien Gracq figure bien sûr parmi eux. Dans "Grève désolée, obscur malaise", Blanchot développe une analyse du style de Gracq qui va à l'encontre d'une idées reçue bien établie concernant l'usage des adjectifs. Blanchot cite d'abord un passage d'Un beau ténébreux où ceux-ci se bousculent.

 

Puis il rappelle le principe de base de la rhétorique selon lequel le mot "court à sa perte quand les adjectifs en sortent à la queue leu leu". Leur accumulation entraine en effet lenteur et lourdeur. Mais, objecte Blanchot, "il reste qu'un écrivain peut avoir envie d'être pesant. Il lui est peut-être nécessaire d'avancer sur un chemin qu'il encombre à mesure qu'il le dégage." 

L'accumulation des adjectif a sur l'imagination du lecteur qui ne distingue pas clairement ce qui lui est proposé, devant un amas de choses inorganisées "où il n'y a plus de classement à faire ni de perspective à tracer."

Pour Blanchot, "le monde de Gracq est un monde de qualités, c'est-à-dire magique" et dans ce monde, il ne peut rien se passer. D'où les descriptions qui s'étendent indéfiniment en un long prélude, dans l'attente d'un évènement sans cesse reporté. 

jeudi 26 mai 2022

Citation

 

Richard Diebenkorn, Girl with Flowered Background, 1962

"I always forget how important the empty days are, how important it may be sometimes not to expect to produce anything, even a few lines in a journal. A day when one has not pushed oneself to the limit seems a damaged, damaging day, a sinful day. Not so! The most valuable thing one can do for the psyche, occasionally, is to let it rest, wander, live in the changing light of a room." May Sarton, Journal of a Solitude

Trouvé sur le compte Instagram  de la Richard Diebenkorn Foundation.

mercredi 25 mai 2022

Vu

 



Furia à Bahia pour OSS 117, André Hunebelle (1965)

Même année que Paris vu par... C'est un bon cru pour les décors. J'aime les voitures, les vêtements, l'architecture, l'ameublement. Ainsi, même si le scénario et la réalisation sont proches de l'indigence, il y a toujours des choses agréables à regarder dans le cadre. Ceci dit, le OSS 117 de Hunebelle ne manque pas d'atouts. Mylène Demongeot est assez craquante en blonde piquante avec juste ce qu'il faut de vulgarité. Le nommé Frederick Stafford incarne un Hubert Bonisseur de La Bath fadasse et maladroit (ce n'était pas un acteur professionnel). En revanche, il est très convainquant dans les scène de drague à la française. Les scènes de bagarre chorégraphiées au ralenti ressemblent un peu à celles d'Alphaville. Bref, un film bien raté, certes, mais qui dégage une certaine fraicheur. Le climat désuet de l'ensemble est finalement assez éloigné de la célèbre version parodique (que j'apprécie par ailleurs).

mardi 24 mai 2022

Un peu d'histoire

 
En l'absence d'une introduction permettant de situer le contexte historique, lorsqu'on ouvre Salammbô, plusieurs questions se posent rapidement : où sommes-nous ? qui sont ces personnes ? quelles sont leurs motivations ? La scène se situe à "Mégara, faubourg de Carthage" (ce sont les premiers mots du roman). Un abondant festin est donné dans un palais dont le propriétaire, nommé Hamilcar, est absent. La foule qui afflue est hétéroclite, "venue de toutes les nations". On comprend qu'il s'agit de soldats, une horde de soudards dont le comportement empreint d'animosité va se dégrader sous l'effet des boissons et dont la cruauté va éclater au grand jour.

Voici le résultat en résumé de quelques recherches sur le sujet. 

Au moment où commence le récit, Carthage vient de perdre une guerre contre Rome, la première des guerres puniques. Les vaincus ont été condamnés à verser au vainqueur de fortes sommes. Les mercenaires qui avaient été recrutés par Carthage pour mener cette guerre contre Rome exigent de toucher leur solde avant de repartir dans leurs pays respectifs. Mais les caisses sont vides. D'où l'idée d'offrir aux soudards un abondant festin en les berçant de belles promesses pour repousser l'échéance. Le plan va échouer et déboucher sur la "guerre des mercenaires" dans laquelle Hamilcar Barca va jouer un rôle de premier plan. Le personnage de la fille d'Hamilcar, Salammbô, est une création flaubertienne. 

Certes, ces combats et ces intrigues de pouvoir ne manquent pas d'intérêt mais c'est le style de l'écrivain qui emporte tout.

 


 

lundi 23 mai 2022

Lu

 

J'appréhendais le moment de finir ce livre. C'est à ce genre de signe qu'on peut mesurer le plaisir pris à la lecture d'un roman. La dernière fois que j'ai vécu une expérience de lecture de cette ampleur, c'était pour Sodome et Gomorrhe. C'est rare. On est tellement loin de ces romans contemporains où l'auteur tire laborieusement le fil d'une ou deux idées avec plus ou moins d'habileté. A chaque fois que je reprenais la lecture de L'Idiot, à peine le livre entrouvert, le souffle romanesque s'abattait sur moi et m'emportait.

Extrait : Une grande réception se prépare chez les Epantchine. Aglaé, une des filles de la maison, s'adresse au Prince.

"- Saurez-vous accepter et boire convenablement une tasse de thé quand tout le monde aura exprès les yeux fixés sur vous ?

- Je crois que le saurai.

- Dommage ; sans cela j'aurais eu une occasion de rire. Cassez au moins le vase de Chine qui est au salon ! Il coûte cher ; je vous en prie, cassez-le ; c'est un cadeau, maman serait folle et fondrait en larmes devant tout le monde, tant elle y tient. Faites un geste quelconque, comme vous en faites toujours, poussez le vase et cassez-le. Asseyez-vous exprès à côté.

- Bien au contraire, je tâcherai de m'asseoir le plus loin possible, merci de lm'avoir prévenu.

- C'est donc que vous craignez d'avance de faire de grands gestes. Je parie que vous allez aborder un "sujet", quelque chose de sérieux, de savant, d'élevé ? Comme ce sera... convenable !

- Je pense que ce serait stupide... si c'était hors de propos.

- Écoutez-moi une fois pour toutes, s'écria Aglaé n'y tenant plus. Si vous vous mettez à parler de quelque chose dans le genre de la peine de mort, ou de la situation économique de la Russie, ou encore du "monde qui sera sauvé par la beauté", alors... je serai bien sûr ravie, et je rirai beaucoup, mais... je vous avertis à l'avance : ne reparaissez plus devant mes yeux ! Vous m'entendez : je parle sérieusement ! Cette fois c'est tout à fait sérieux !"

samedi 21 mai 2022

Dans la galerie virtuelle du GFIV

 

Jasper Johns, In Memory of My Feelings – Frank O’Hara, 1961
Harry Callahan, Higland Park, 1941

Willem de Kooning, Sans titre, 1960